Psychose géographique (en cours)

Je vois Grenoble comme un cratère. Un chaudron, la brume, ils y dorment. La nuit, ils dorment, les grenoblois. Le jour je traverse ses artères, la ville est un petit peu rugueuse. Un gris crayeux, épais, abrupte. Particules fines etcetera.

Un chaudron plutôt qu’une cuvette, avec les montagnes pour parois. Seize quartiers si hétérogènes. Dedans la nuit ils font des rêves ou des cauchemars en forme de quoi.

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Un quartier, le tramway, Berriat. Trouée d’immeubles dans le bleu dur. Les rails morsures au sol, l’asphalte qui cicatrise.

Le square des fusillés, une sculpture de Didier Faustino, une structure arachnide érigée en potence, nom : Les Racines du mal. Devant les fenêtres de grenoblois. De quoi rêvent-ils volets fermés ? Je vois Grenoble comme un cratère, est-ce que leurs rêves en serait pollués ?

La violence esthétique : une donnée subjective, ne peut être quantifiée. La violence systémique, elle, agit sur les rêves. Quand je dors à Grenoble, parfois je fais des rêves en forme de potence. J’aimerais beaucoup savoir si je suis la seule ou pas.

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Il m’a dit : « Dans mon rêve le supermarché est grand, gigantesque et sans portes, je ne peux pas entrer ». Son lit est dans une chambre d’un quartier non solvable.

Elle m’a dit : « Fréquemment, moi, on m’enterre vivante. C’est plutôt un cauchemar ». Elle est loin d’être la seule mais refuse d’en parler.

Certains rêvent que la nuit, ils chantent. Des chansons qu’ils inventent et qui font d’eux des stars.

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Où es-tu quand tu rêves, ton corps quand tu t’endors, ta chambre espace privé, tes songes espace intime, en quoi l’espace public pourrait te perturber ? S’infiltrer s’imprimer au creux du subconscient ? Je te vois livré au cratère, tes nuits bien plus belles que mes jours.

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À Grenoble mes rêves : des vipères. Dans une langue qui sans cesse se mord.

En lithothérapie on conseille l’améthyste pour un sommeil réparateur. C’est un quartz violet relié au chakra coronal. Pierre connectée au subconscient et à la pensée active, son énergie est reposante.

À Grenoble, mes rêves j’améliore.

Une améthyste sous l’oreiller, une nuit à parler aux murènes mais chaque scène était sous-titrée.

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J’ai fabriqué un attrape-rêve, depuis j’ai perdu la mémoire.

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Alsace-Lorraine, c’est là que je dors. En face d’un bar qui fait boutique, avec des passants pour roulis. Je me noie, en ce moment, la nuit. Un torrent au pied de l’hôtel, au matin je ne trouve que la pluie.

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Elle m’a dit « Dans mon rêve, ma mère devient rose et fond comme un vieux chewing-gum ». Les murs de sa chambre sont blanc crème, ses fenêtres donnent sur le bitume, son cœur est en papier mâché.

Il m’a dit « Je voudrais la nuit prendre le contrôle, maîtriser mes cauchemars ». Il a dit « Le jour déjà, tout le jour je subis ». Il travaille comme serveur dans un bar du vieux centre. Il dit « J’aimerais rêver qu’on ne me demande rien ».

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Un rosaire, un bréviaire, un rêvière. Un petit cahier, un coffret. Noterai rangerai dans le rêvière les songes que chaque nuit je ferai. Dans le premier à une potence, le cœur de Grenoble balancera. Dans le second, un vieux marché sur la place a tout englouti.

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Les fenêtres le long de L’Isère se ferment sans un songe de noyade. Pas la moindre légende de Vouivre pour hanter le sommeil des riverains. Au Polygone Scientifique, ils ont l’esprit trop cartésien.

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Elle m’a dit : « Moi, mes rêves, je ne me souviens d’aucun ». Elle habite à l’Île Verte et ses jours lui suffisent. Elle m’a dit « Ca m’arrange, les rêves c’est encombrant. Je n’aime pas que dans ma tête certaines choses se produisent ». Après cinq cigarettes, elle m’avoue qu’elle dort mal depuis sa dernière rupture.

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Perdre ses dents sur les Grands Boulevards, être poursuivi dans les Eaux Claires, parler aux morts quartier Teisseire, en une seule nuit, on en est là. Je vois Grenoble comme une matière. Cartographier son subconscient.

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Il n’existe pas de statistiques, mais des thèmes de rêves récurrents propres à des groupes sociologiques. Ici les rêves sont d’Occident, personne la nuit n’est un jaguar. Il faudrait peut-être vérifier. À Grenoble, il n’y a pas de zoo, mais quelques cages répertoriées avec des plates-bandes d’herbe autour.

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L’inconscient collectif existe. Il se manifeste la journée ; la nuit le réel le contamine. Des préoccupation communes, des angoisses qui sont partagées.

Livre : Rêver sous le IIIe Reich, Charlotte Beradt. Trois-cents rêves collectés entre 1933 et 1939 à Berlin. Un homme rêve qu’il contrôle ses rêves pour échapper à la censure. Rêves expurgés de narration, de contenus, de sensations. Des traits des carrés et des ronds, pour n’être coupable d’aucun délit, ne rêver que de formes géométriques.

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Dessiner une carte de la ville, découvrir où s’est rêver quoi. Peut-être l’allure d’une carte du tendre, Grenoble de nuit, cratère ouvert.