L’idée du Dream Operator m’est venue alors que je traversais, à la tombée de la nuit, le square des Fusillés. Ce minuscule parc dans lequel trône une structure arachnide en métal, surplombée d’un lampadaire en forme de potence. Une sculpture de Didier Faustino, Les Racines du Mal, censée permettre, d’après le CNAP, « d’abriter des rassemblements de quelques personnes tout en empêchant les regroupement massifs ». Le square est entouré d’immeubles, une femme en robe de chambre fermait ses volets.
J’ai pensé aux familles qui vivaient là, aux salons et aux chambres avec vue sur potence. Je me suis demandé si, une fois les volets clos, le mal prenait encore racines. Si durant leur sommeil ils rêvaient d’araignée géante ou de pendaison.
De quelle manière l’espace public impacte-t-il la psyché individuelle ? Rien n’est plus intime qu’un rêve, et pourtant il existe, selon Tobi Nathan, des schémas, des parentés, structures et thématiques communes dans l’espace onirique des sociétés occidentales. En fonction de leur zone d’habitation, les grenoblois sont-ils égaux durant leur sommeil paradoxal ? Existe-t-il des motifs récurrents au sein de leurs rêves et cauchemars ? L’enceinte montagneuse, la proximité des rivières ou de bâtiments urbains influencent-ils l’inconscient des habitants ? Le tracé cartographique si particulier de Grenoble, avec ses lignes droites, se reflète-il dans les productions oniriques ? Rêve-t-on différemment selon les quartiers de la ville ?
Dans son ouvrage L’interprétation sociologique des rêves, Bernard Lahire distingue deux approches. « La science des usages des rêves », qui étudie les manières dont le rêve est « raconté, partagé, diffusé, traité et interprété » par des groupes, et la « science de la production onirique ». Cette dernière « s’efforce de répondre à la question de savoir pourquoi nous rêvons de ce dont nous rêvons, dans les formes par lesquelles nous le faisons ». Le projet Dream Operator appartient à la seconde catégorie.
Il s’agit donc de collecter les rêves de grenoblois, afin d’établir une cartographie onirique de la ville. Grenoble compte seize quartiers ; où y rêve-t-on de quoi. Pour y parvenir, plusieurs moyens sont mis en place, moyens dont l’objectif est la création de lien social et de bulles poétiques. Des moments d’échanges où se partagent intime et écriture.