Corpus Simsi

Partie intégrante d’un cycle de travail (2002-2004), incluant parutions diverses, blog et performances, l’ouvrage Corpus Simsi  a été publié en novembre 2003 aux éditions Léo Scheer.

 

Le projet Corpus Simsi est une variation autour de la notion d’autofiction. Chloé Delaume, personnage de fiction pire que les autres, a refusé de s’incarner dans un livre. Dans son précédant roman, La Vanité des Somnambules, elle a quitté le lieu de résidence initial de ses congénères, la Somnambulie, pour prendre possession d’un corps humain, qu’elle s’est empressée de parasiter. S’étant faite expulsée, tout en poussant le corps hébergeant à l’implosion, elle se retrouve donc nulle part, ce qui n’est pas très pratique. Aussi décide-t-elle de prendre définitivement résidence dans le jeu Les Sims™, sachant ce nouveau territoire particulièrement adapté à sa situation de personnage de fiction sans domicile fixe.

Sous forme d’avatar de son ancien corps humain, elle devient un petit personnage de jeu vidéo formaté, soumis à des règles différentes de celles du monde réel, face auxquelles la fiction n’est peut-être pas aussi souveraine qu’elle y parait. Actions préprogrammées et fatum, bugs et clinamens, boucles et ritournelles : autant de similitudes entre les deux univers, autant de failles où s’engouffrer.

Le cycle Corpus Simsi explore quelques pistes portant sur le rapport de la fiction au virtuel, et sur le jeu en tant que territoire d’investigation poétique. Les jeux vidéo constituaient un support artistique alors trop peu exploité. Seule Lara Croft avait été l’objet d’ouvrages dès 98, et les expérimentations en cours étaient majoritairement axées sur les FPS.

Alors que le détournement, le cut, la réappropriation d’images fixes et mouvantes étaient et sont couramment usités, le jeu vidéo, probablement victime de son aspect populaire et générationnel, est rarement pris pour ce qu’il est : un générateur de fiction, doublé d’un outil technique singulier.

Les Sims™, jeu de simulation de vie virtuelle créé par Will Wright en 1999, s’est imposé immédiatement comme média à cette expérience. Par définition, ce logiciel, alors en sa version 1, permettait une infinité de situations inédites, mais aussi de transferts et de mises en abîme. Il propose à ses utilisateurs un monde parallèle, où la plus grande des libertés d’action cohabite avec la plus ferme des codification.

 The Sims™ marque indéniablement l’histoire du video game. Il a été le jeu plus vendu au monde, comptant de véritables adeptes à travers tous les continents. Des centaines de sites et forums lui étaient dédiés sur le web, de très nombreuses communautés se sont crées autour de lui. Phénomène rare, 60% des joueurs étaient de sexe féminin. Devenu une donnée culturelle collective, il se trouva même des psychanalystes, comme Mickaël Stora, pour  l’utiliser auprès de leurs patients.

Au-delà d’un objet ludique, les Sims incarnaient donc un système propre, où chaque interaction avec l’environnement, chaque choix du joueur faisait sens. Un reflet au final inquiétant, car fidèle et condensé, de l’existence de l’homme dans les sociétés occidentales contemporaines : « Construire, Acheter et Vivre » étant le but du jeu. Une négociation permanente avec le champ des possibles, une succession de situations inéluctablement virussées parce que construites par et sur le capitalisme.