Chanson de geste & Opinions

Editions Mac / Val, février 2007. 

Le Musée d’art contemporain du Val de Marne propose depuis 2006 à des auteurs de s’emparer de l’univers d’artistes figurant dans sa collection permanente pour en faire de courtes fictions.

Ce petit livre a pour sujet l’oeuvre de Pascal Pinaud, et plus précisément son geste de peintre. Parodiant la Morphologie des contes de fées de Vladimir Propp, il met en scène trois personnage empruntés à Raymond Queneau :  le duc d’Auge, la jeune Zazie et le perroquet Laverdure. Leur quête consistera à assouvir le caprice d’une reine ubuesque et collectionneuse, qui exige « l’essence de PPP », sigle usité par l’artiste « Pascal Pinaud Peintre ».

 

Extrait : les deux premiers chapitres

 

1. Situation initiale 

Il était une fois un pays dont le roi augmentait indéfiniment ses richesses, mangeait fort souvent de l’andouille et roulait carrosse par les rues. Chaque année, à la Saint Panmuphe, le glorieux souverain faisait sonner trompettes, réveillant le royaume à renfort d’acouphènes et de oyez ventrus. La foule se pressait sous les cuivres, grouillait aux marches du palais, épaisse, curieuse, enjouée, agitant de petits drapeaux. Des quarante-deux mondes s’en venaient de jeunes princes, héros, aventuriers, amazones et preux chevaliers, nobles vieillards, barons rougeauds. Tous venaient pour la prime, ou supprimer leurs dettes, ça dépendait des cas.

Ce que la reine souhaitait pour son anniversaire, qui le lui procurerait obtiendrait ce qu’il veut. Ou presque, et en retour. Ce que la reine souhaitait en règle générale, le roi lui accordait et le plus vite possible. A cause de la migraine, et puis des génocides et de tous les amputés; le risque, les conséquences. La reine était fragile, un esprit singulier, le goût de l’art et de la cruauté. Un mécène capricieux, une magicienne collectionneuse.

Ce que la reine voulait pour son anniversaire, c’était encore plus compliqué à fabriquer que les robes de Peau d’Ane. Tellement plus compliqué à fabriquer qu’à travers tout le royaume personne n’y arrivait jamais. Des souliers couleur de fin des haricots, des machines à démonter le temps ou des âmes à peindre soi-même, le roi ne pouvait qu’importer en s’en remettant ouvertement à du personnel qualifié exerçant en free lance.

C’était des choses étranges, ce que désirait la reine pour ses anniversaires. De plus en plus étrange. Des objets f(x), fonctions et inconnues, factorisations développement. Du pot-aux-roses un lourd bouquet. Des tapisseries de vices de formes, de la poudre d’abstraction saignante au moulinet. Des organes en bocaux, le silence en gros plan, un refrain en si mineur et sol vernaculaire, la voix lactée du soleil vert quand il chuchote à ses étoiles la fin de son second couplet. Des manuscrits, des plantes, des pierres ruisselantes et maudites, des racines de tableaux, des factures à air comprimé, des jambes de grand-mères ou le cuissot de Rimbaud, voire la vie sexuelle d’une papesse. Autant dire que des trucs qu’on ne trouve pas sous le sabot de Stewball, vous en conviendrez aisément.

A chaque cadeau, son énigme et sa quête. Nous entendons par quête un périlleux périple morphologiquement structuré par des emmerdements.

2. Ensuite

_ Alexandre Lenoir mon cul, lui répondit Zazie. Il est mort en 1839, réfléchissez deux secondes. 1839, c’est Les noces juives au Maroc d’Eugène Delacroix et l’année de naissance de Cézanne. Alors il a peut-être inventé le musée, votre zig, mais question art contemporain je suis sûre qu’il ne vaut pas un clou.

Le duc d’Auge était fatigué. Cela faisait de longs jours qu’il se coltinait la petite, ses remarques agaçantes et son perroquet vert, le tout en sentiers montagneux. Il s’assit, enleva ses poulaines, trempa ses pieds crasseux dans l’eau.

_ Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire, remarqua Laverdure.

Le duc d’Auge ne releva que ses braies. Il irait voir cet homme, c’était son unique piste. Si la môme n’était pas contente, elle pouvait prendre sa bestiole et s’en aller au diable vauvert. Ca ne l’amusait pas non plus, cette visite au fantôme d’un conservateur. Mais c’était le seul indice délivré par Merlin.

Une ampoule sous son talon droit creva à l’aigu d’un galet. Le ciel était bleu et hypocrite ; derrière, la berge, et. Décidemment, cette histoire l’ennuyait. Il avait espéré y augmenter indéfiniment ses points d’expérience, y pourfendre une stupéfiante variété de dragons, nager de bosse en bosse et copuler au fil des fleuves. Si son fidèle destrier n’était pas actuellement chez le prêteur sur gages, le duc laisserait choir cette mission. Il s’enfonça jusqu’à mi-cuisses, le torrent mordait sa chair. Sur la rive Zazie s’agitait, en proie à de singuliers débordements.

Ce qui inquiétait la mouflette, c’était l’ignorance de la forme, du support comme de la surface. Pour elle c’était abstrait, difficile à comprendre, à se représenter, ce que la reine voulait. Elle avait en bernique ingénieusement harponné le duc, lui offrant ses services et sa menue escorte contre, en cas de réussite, une carte Navigo. Echouer serait mourir avant que la mer fut. Un oracle le lui a confié, depuis, guère rassurée, elle prenait l’affaire au sérieux.

Le duc ne cherchait pas l’échange de vues, juste un panorama aux angles arrondis. Musées, bibliothèques, vitrines. Etudier les archives, une traçabilité. Consulter nombre de spécialistes. Scanner, analyser, capter, déduire. Des aptitudes certaines mais très peu adaptées, alors maintenant il fait la planche.