Narcisse & ses aiguilles

L’Une & l’Autre, novembre 2009.

Nouvelle autofictive, qui retrace un épisode maniaque à base de stiletto.

 

Premières pages

Début août c’est fini. Nulle part, plus une trace d’elle. Comme si elle n’avait jamais existée. L’horloge qui l’escamote, sa saison trépassée, c’est une disparition. Totale, définitive. Il va falloir pour elle employer l’imparfait et conjuguer le vide. Je ne peux m’y résoudre. Alors.

Début août l’air est moite et il m’est reproché de souffrir davantage que s’il était question de perdre un ami cher. Il m’est d’ailleurs reproché des choses épouvantables, quoi de plus condamnable que la frivolité.

 Adjectifs en cascade au miroir de ma plainte : futile, inconsistant, insignifiant, léger, superficiel, vain. C’est ce qu’ils pensent, tous, ce qu’ils disent. Même le Petit Robert. Ils le répètent très fort en articulant bien, c’est devenu mécanique, ça fait six mois maintenant : Chloé, ce n’est qu’une paire d’escarpins. Ils le répètent si fort que leurs voix s’entremêlent, un chaos en haut-le-cœur, le coryphée éructe, les nerfs usés jusqu’à la corde. Mais aucun d’eux n’arrive à distinguer la nature de mon tue-tête intérieur. Ils invoquaient le caprice, puis songèrent au blocage. A présent ils s’indignent. L’été se meurt et avec lui la patience de mon entourage. D’ailleurs je ne me supporte plus. Reflet à la psyché : en ricochets, jusqu’à mon âme futile, inconsistant, insignifiant, léger, superficiel, vain. Lucide, je suis lucide : ce n’est qu’une paire d’escarpins.

Ils me prescrivent l’oubli ; je recherche la formule d’amnésie volontaire. Les grimoires restent aphones, la chimie impuissante. Parce que je me souviens, me souviendrai toujours. Pas n’importe quelle paire, non, elle incarne un vœu, un mouvement, une période. Une période de ma vie, juste une poignée de mois. Où je le sais maintenant, la mutation eut lieu. En attestent le bleu de mes sutures suintantes. Un piqué régulier, de petites trouées, un froncé à l’étoffe tout autour de l’égo. Une âme décousue nécessite des aiguilles pour sa métamorphose. Alors tirer, tirer le fil. Point après point. Pour voir. A quoi ressemble aujourd’hui ce canevas narratif. Puisque.

On dirait une histoire, une histoire très banale, celle d’une acquisition qui relève du fantasme pour raisons budgétaires. Une histoire de pouffiasse, en somme. La pétasse, elle, a les moyens. On dirait une histoire, quelconque et lamentable. Qui ne sait pas se gérer et qui cherche un refuge, quelle qu’en soit la nature, la matière et la forme. Combien de pages, combien de signes, est-ce que ça pourra être assez.

C’est une histoire de deuil, un deuil particulier, celui d’une possession qui n’aura jamais lieu. Appliquer le renoncement : la frustration vacille, la frustration s’éteint. Il en reste parfois quelques traces charbonneuses dans un coin du cerveau. Du cerveau, pas du cœur. Pourquoi mes ventricules sont en plein brasero, ça encore, je demande. Le sang confit d’envie, des grumeaux aux artères.

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C’est à peine une histoire, c’est juste un épisode. Honteux et psychotique, mais qu’il faut consigner. Parce qu’ainsi se présente le pacte d’écriture. Fiction, d’évènements et de faits strictement réels. Poursuivre de texte en texte la rigueur de la démarche, et tant pis si mes pas parfois se font trébuchements.

Un article de mode, une paire de chaussures qui restent hors de portée ; Tantale dans la vitrine, Cendrillon amputée. Une paire de chaussures, un article de mode : quoi de plus futile, n’est-ce pas, futile inconsistant insignifiant léger superficiel et vain.  Pourtant je le ressens, désormais je le sais, début août je le crie, qu’importe ces regard empoissés de dégoût : il manquera quelque chose.  Pas que dans mes placards. Dans la reconstruction de mon identité. Et bah oui, carrément.