Le deuil des deux syllabes

L’Une & l’Autre, janvier 2011

Nouvelle autofictive, qui met en scène le deuil et l’enterrement du mot maman.

 

Premières pages

Aujourd’hui, j’ai recommencé.

Je ne sais pas quoi en penser, je croyais que j’étais guérie, comme si c’était une maladie, une simple maladie qui expire aux remèdes. Le temps en était un, en pleins déliés lisibles tout en haut de l’ordonnance. Des tours d’horloge par milligrammes, de la patience en gélules et de l’espoir en gouttes. Un céladon serein, vingt-cinq dans un verre d’eau matin midi et soir. Le tournoiement des aiguilles se reflétait au blanc de l’œil tandis que chaque gorgée m’ancrait dans un réel glucosé d’optimisme.

 J’oublierai

Tu oublieras

Elle oubliera

Nous oublierons

Un jour.

J’ai suivi le traitement en patiente modèle, avide que les symptômes s’évanouissent aux souillures de mes phrases corrompues. Chaque semaine pas de fourmi couloirs de l’hôpital, arpents. J’espérais que les blouses blanches me gratifient sourires clap clap bons points images. Images. Mais pas n’importe lesquelles.

 J’oubliais

Tu oubliais

Elle oubliait

Nous oubliions

Le jour.

Mon âme est un puzzle par delà le miroir, j’attends d’être saisie par un polaroïd. Conscient et inconscient pellicule, négatif, l’empreinte de mon dedans en photo capturée. Me voir, enfin. Complète. Me regarder en face quitte à y succomber. Me voir, enfin. Arrête. À te voiler la face tu vas nous faire danser.

J’oublie

Tu oublies

Elle oublie

Nous oublions

Ce jour.

Je me suis appliquée, des années appliquée. Respecté les dosages et la posologie ; obtenu le prix de bonne conduite, un Dictionnaire des Psychoses, une couronne de laurier, un bouquet de thym rose et un poster géant de Piera Aulagnier. Deux décennies et demie pour onze mois de répit : bilan dela prescription. Sanscompter que. Deux décennie et demi moins les fois où. Alors, maintenant.

Céphalée et colère. Contre moi, ça va de soi, engluée au naguère, un enchaînement à quoi je ne regrette rien. Ni elle, ni lui, ni eux. Les rhizomes de possibles sectionnés en pleine pousse, les hypothèses multiples qui croissent et s’agglutinent, non plus. J’en suis sûre, oui, certaine. Pourtant.

Aujourd’hui j’ai recommencé alors peut-être que c’est faux, tout ça, en fait. Je me mens à moi-même : une possibilité. Comment me faire confiance. Je suis de mes ennemis de loin la plus retorse et la plus tacticienne. Je redoute donc le pire. Je le croyais advenu : comme souvent j’avais tort. Il n’est pas derrière moi, il est juste dedans. C’est pour ça que mon corps à présent est si lourd. Je suis pleine d’un jus rance aux reflets vinaigrés, les clapotis toxiques rythment une mélodie vaine, asphyxie aux sirènes, la graisse a tout bouché.

 Je suis un ciel de traîne

La sueur au front occlus

Une averse de sirènes

Emporte celle qui n’est plus.

Peut-être que regretter, je ne fais que ça au fond, au tellement le fond de moi que je ne peux m’en rendre compte : il fait beaucoup trop sombre, je ne vois rien d’ici. Descendre. Bien sûr. Descendre. Ca me fait un peu peur. Descendre oui bon d’accord ne poussez pas descendre mais putain attendez j’ai pas sécurisé les harnais. Ceci n’est pas un exercice descendre je répète ceci n’est pas je crois que n’ai pas le choix il y a majorité. Urgence.

La corde à main nue égratigne. Le long des muqueuses j’exécute, rappel. Le casque à lampe frontale me pèse terriblement,  une bosse se dessine au gré des soubresauts. Je poursuis tu poursuis ensemble nous poursuivrons. Plus bas, encore plus bas. Au tréfonds de. Les psychoses sont plurielles, les symptômes singuliers, parfois la cicatrice masque l’amputation. La mienne est large et laide, cela m’était suffisant. Il semblerait qu’encore un topaze liquoreux suinte aux fleurs boursouflures. Je suis lasse et je glisse au moelleux de l’abcès. Dans le cœur une fissure, ramper jusqu’aux parois, atteindre la cavité.

La salle est vaste et moite. Dans la chair des tiroirs, étagères et dossiers. Les souvenirs sont stockés 10.03.73-30.06.83. Couvertures cartonnées, recouvertes de poussière, de sable, de sang caillé. Depuis plus personne n’est entré. Sortir. S’assoir. Non, sortir.

 Ma parole à l’air libre

S’oxyde et se flétrit

Sous l’épiderme ça vibre

Tellement nombreuse je suis.

Aujourd’hui j’ai recommencé. Respire. J’ai dit : ça plairait beaucoup à ma mère. Inspire fort. Le commerçant a sourit. Bloque. Je passerai avec maman samedi j’ai ajouté. Expire. Maintenant. Expire. Avec maman samedi. Expire. Maman. Expire. Avec maman samedi. Expire Inspire Avec maman. Maman. Maman.  Maman. Maman maman maman quelqu’un pourrait maman intervenir maman elle a verrouillé maman les accès aux maman voies respiratoires maman et moi je ne maman connais pas maman la procédure d’urgence.

Ta plaie n’est pas discrète

Quand tu appuie dessus

Les cieux se déchiquètent

A fleur d’iris la crue.

Reprenons. S’il vous plaît. Mesdames, Mesdemoiselles, au creux. Des coupables, des voix responsables. Une fabulation soutenue collective puisque formulation puisqu’une affirmation clairement articulée du corps le piratage y a-t-il eu mutinerie aux contrées psychotiques les mythomanes sont rois.

La question c’est qui la première la question c’est qui la dernière la question c’est maman la question c’est je la question c’est maman la question c’est je la question la question la question la question.

(…)